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"La peinture a son propre langage. Dans mon travail, j’utilise des motifs qui ont des significations et des connotations multiples. Cela forme ce que l’on pourrait appeler un vocabulaire, d’où l’idée de proposer un bréviaire qui serait comme une porte d’entrée pour aller plus en profondeur dans ma peinture.

 

ANATOMIE//​

Je travaille sur la représentation du corps humain depuis longtemps. Cela m’a conduit à diverses expérimentations. L’exploration des structures internes en est une parmi d’autres. Il ne s’agit pas d’une fascination morbide mais plutôt d’un plaisir purement plastique. Je trouve que les organes internes ont des couleurs, des formes et des textures d’une grande richesse. En plus de leur beauté visuelle, c’est la symbolique de leurs fonctions qui m’intéresse. Chaque organe a sa propre horloge biologique interne calée sur le grand rythme circadien, cette précision et cette complexité m’inspirent.

Peindre le corps de cette façon me permet de croiser différents univers esthétiques, notamment celui des sciences et, à travers la représentation du cœur*, celui de l’art sacré.

 

ANDROGYNIE//​

Depuis quelques années, je choisis des statues et des modèles vivants à l’allure adolescente pour composer mes tableaux. Ce sont des corps qui m’intéressent pour leur fragilité et leur androgynie. Ils amènent à la fois de la douceur et une grande puissance émotionnelle. Comme toute chose en ce monde, ces êtres sont en transition. En dépit de leur apparente fragilité, ils évoquent la force de la vie en devenir et apportent de la complexité à mes personnages.

 

ANTIQUITÉ//​

En reprenant la statuaire antique ou néo antique, je souhaite questionner la représentation du corps humain tout en travaillant sur la notion de temps et de ruine.

En dehors de leur beauté, ce qui m’intéresse le plus, c’est l’idée de blessure. En peignant ces corps brisés, amputés, je cherche à évoquer la souffrance et la fragilité humaine.

En outre, le fait que ces statues aient traversé les siècles rend le propos ambivalent. Nous sommes ici en présence d’ouvrages fragiles et en même temps d’une très grande résistance au temps. Ces blessures, ces membres absents m’intéressent. Il y a quelque chose dans le fait que ces corps idéalisés soient détruits qui transcende la représentation et qui me touche profondément.   

 

BAPTÊME//

Dans ma peinture, l’eau* est l’endroit du changement d’état, le lieu qui rend possible la croissance, la renaissance ou la purification. Du grec, « plonger » , « immerger » mais aussi « laver », le baptême est présent en filigrane dans mon travail notamment à travers la position des corps dans l’espace. Ils apparaissent parfois en lévitation sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’une ascension ou d’une chute.

La référence est plus directe dans les peintures récentes où il y a une plus grande présence de l’eau*. Les figures flottent dans un état de suspens, un mouvement très lent d’immersion ou de retour à la surface est néanmoins suggéré.

BRANCHES//​

Les branches des forêts que l’on voit au loin dans certains tableaux apparaissent parfois au premier plan. Cela peut être sous la forme de bois mort planté dans l’eau. Ces branches sont comme des béquilles végétales, des supports ou des points de repères pour les corps flottants qui les entourent.

A l’horizontale, les branches immergées de la série Anatomie du lac fonctionnent comme des racines qui font le lien entre les tableaux. Elles évoquent le concept de rhizome développé par Gilles Deleuze. Dans la nature, le rhizome, c’est la tige souterraine, parfois subaquatique de certaines plantes vivaces. Leur déploiement évoluant en permanence dans toutes les directions est un peu à l’image de mon processus créatif. Un même motif peut avoir plusieurs significations qui vont s’accumuler et interagir, ce qui rend parfois le sens général de mes tableaux labyrinthique, voir énigmatique.

 

CHAMBRE//​

Quand l’espace de la chambre apparaît dans ma peinture, c’est toujours pour signifier une introspection ou un conflit intérieur. Comme chez Francis Bacon, elle sert de cadre dramaturgique. Elle est parfois réduite à sa plus simple expression. Une tapisserie, une porte fermée ou un couloir suffisent à délimiter la scène. C’est une enceinte confinée, un lieu de suspens temporel où se joue une crise intérieure, une transformation. La chambre est la métaphore de l’espace cérébral, la zone du rêve et des cauchemars.

 

CŒUR//​

Une œuvre parmi tant d’autres me fascine, c’est l’une des dix scènes de la vie de Sainte Catherine de Sienne peintes par Giavanni di Paolo vers 1460. Cette peinture nous montre la Sainte échangeant son cœur qu’elle tient littéralement dans sa main avec le Christ. C’est le genre d’œuvre qui me fascine pour sa spiritualité teintée d’étrangeté.

Depuis l’antiquité, le cœur est le symbole de l’activité émotionnelle. Je le peins comme une icône, un peu à la manière du Sacré-Cœur, souvent représenté sous la forme d'un cœur enflammé brillant d'une lumière divine.

Avec ses formes plastiques, le cœur peut facilement évoquer autre chose en fonction de la manière dont il est traité. La plupart du temps, j’en détourne les couleurs pour en faire un objet photophore, un organe qui produirait sa propre lumière.

Flottant dans l’eau comme une amphore ou un vase antique, il fait parfois penser à un étrange instrument à vent aux formes organiques.

 

COSMOS//​

Dans sa série télévisée Cosmos, l’astronome Carl Sagan déclarait « l’azote dans notre ADN, le calcium de nos dents, le fer dans le sang, le carbone dans nos tartes aux pommes ont été faits à l’intérieur d’étoiles qui se sont effondrées. Nous sommes faits de poussières d’étoiles. »

Questionner le corps humain, c’est aussi questionner le cosmos car tous les êtres vivants sont constitués d’atomes forgés lors des événements cosmiques qui ont fait l’histoire de l’univers. La généalogie de la matière qui nous compose nous amène à interroger directement les étoiles. En juxtaposant des corps humains et des astres, j’essaie de représenter la connexion de l’homme à la nature et au cosmos tout entier.

 

EAU//​

L’eau a une puissance évocatrice d’une grande portée. Comme un miroir, elle produit des reflets, des images inversées et déformées. L’eau représente un espace mental que j’utilise comme cadre dramaturgique pour mes compositions. C’est l’espace symbolique du rêve et la métaphore de l’inconscient.

L’espace aquatique est un sujet en soi. Charles Darwin avait imaginé que la vie aurait pu naître dans une petite mare à partir de composés chimiques qui se seraient combinés pour former des molécules complexes. Des théories existent concernant une possible apparition de la vie au niveau des sources hydrothermales. Les courants marins et la vie des abysses, les eaux sombres du lac présents dans mes toiles évoquent en partie ces recherches scientifiques.

J’aime aussi la présence de l’eau dans mes tableaux pour la dimension temporelle qu’elle apporte. Dans la peinture classique, la rivière c’est le temps qui passe. L’eau de la série Anatomie du lac est stagnante, c’est le temps figé de l’inconscient, un temps non linéaire.

D’autre part, l’eau est une référence à l’art sacré, elle permet la purification et la renaissance par le baptême*.

L’élément liquide symbolise également les fluides corporels qui rendent la vie possible, comme le sang, le lait, le liquide amniotique.

Cet espace liquide est donc un magma sémantique dans lequel mes personnages luminescents baignent comme en apesanteur. Cet état de flottaison implique aussi une notion de légèreté, de corps sans masse qui nous rappelle que nous sommes en présence d’un espace métaphorique.

 

FEU//​

La présence du feu dans ma peinture est l’expression de l’immatérialité des corps. Les nuages et les volutes de fumée qui émanent des paysages sont le résultat d’une sublimation. Ils sont à mettre en relation avec le feu intérieur qui meut les personnages.

La fumée renvoie également au type de narration que j’utilise, opaque et mystérieuse.

Dans Ghost dance, par exemple, j’ai utilisé l’incendie pour la lumière qu’il dégage. Dans cette toile, le feu de forêt illumine l’étreinte de sœurs jumelles, il incarne la puissance de leur relation.

En revanche, dans les peintures Focus et Premier rêve de la série Fictions, le personnage a la tête qui brûle littéralement. Cette combustion est l’expression d’une puissance autodestructrice,  d’une crise intérieure.

Dans Cosmologia, une galaxie se superpose au visage d’un enfant, son corps disparaît dans un dégradé qui passe par le rouge, l’ocre et le noir. Ces couleurs évoquent la fusion thermonucléaire des étoiles.

Le mot Incandescence vient de Candide, au sens premier du terme ( candidus en latin ), c’est à dire, ce qui est de couleur blanche ( qui par extension a donné la notion de pureté d’âme ). Incandesco «  être chauffé, brûler » est donc composé du préfixe in- pour intensifier et de candesco, le fait de devenir blanc.

Ce sens premier, qui renvoie à un changement de couleur, m’intéresse particulièrement car il fait écho à la transformation extérieure que je fais subir à mes figures par la couleur pour exprimer leur transformation intérieure.

GROTTE//

Dans mes tableaux, la grotte est avant tout un cadre théâtral, un espace où comme dans les fables philosophiques et les mythes anciens, la transformation, la métamorphose est possible.

L’acte de peindre en soi est une allusion directe à la préhistoire et à l’art pariétal. Tout en utilisant des outils modernes, peindre reste finalement un acte primitif et mystérieux. En dépit d’une approche athée, quelque chose subsiste des rites funéraires et de l’art sacré. Interroger cette pratique aujourd’hui c’est aussi mettre en relation la peinture contemporaine avec les origines de l’art dans les cavernes. Dans cette perspective, il est intéressant d’envisager l’espace d’exposition comme une grotte originelle.

 

TABLE//

Ce motif apparaît à plusieurs reprises dans ma peinture. Je l’utilise en référence à la sainte table que l’on retrouve dans les représentations religieuses, à la table d’accouchement ou bien encore à la table en tant qu’espace destiné au travail. Elle est l’objet qui incarne la transcendance. La table fait également le lien avec l’organisme et le système digestif en tant qu’instrument destiné à l’alimentation.

 

VANITÉ//

Symbole ultra-présent dans l’histoire de l’art, je l’utilise dans ma peinture avec tout ce que cela charrie de clichés sur la mort. Le crâne est donc présent en tant que représentation allégorique mais, dans une perspective psychanalytique, il renvoie aussi aux processus vitaux décrits par Freud. La présence du crâne souligne l’intrication entre pulsion de vie et pulsion de mort. Plus qu’une ombre planante sur les personnages, le crâne est davantage un rappel au nécessaire équilibre entre ces deux pulsions.

 

VIDE//  

Parce qu’il est intéressant de ne pas tout dévoiler, de laisser l’imagination opérer, le vide, dans ma peinture, c’est d’abord tout ce qui se passe en dehors du cadre, ce qui est simplement suggéré par l’image.

Il peut se traduire aussi par l’absence, celle notamment des membres brisés des statues antiques que je trouve d’une puissance incroyable. Puis l’absence du regard, mes personnages ont tous les yeux clos ou rayés, comme endormis, le regard tourné vers l’intérieur. Seules les statues ont les yeux ouverts mais bien sûr, ces regards sont aveugles.

Il y a également l’absence des personnages à leur propre histoire, ils sont dans un état introspectif ou en méditation, comme dépassés par ce qui les entoure. Il n’y a pas de lien apparent entre les figures mais elles coexistent néanmoins d’une autre façon.

Le vide, c’est enfin l’espace entre les tableaux lors de l’exposition. C’est le spectateur qui fait le lien entre les images. Comme au cinéma avec les ellipses, il comble les vides."

Erwann Tirilly

Erwann Tirilly peinture
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